Victor Hugo est l’un des plus grands poètes français du XIXe siècle. Il a écrit de nombreux chefs-d’œuvre, comme “Les Misérables”, “Notre-Dame de Paris”, ou “Les Contemplations”. Mais il a aussi connu de terribles drames, comme la mort de sa fille Léopoldine, noyée à l’âge de 19 ans, en 1843.
Comment Victor Hugo a-t-il exprimé sa douleur et son amour pour sa fille disparue? Quel est le sens et la beauté du poème “A celle qui est restée en France”, qu’il lui a dédié en 1856 ?
👉 Voici quelques éléments de réponse, basés sur l’analyse et la lecture du poème de Victor Hugo .

Poème de Victor Hugo : A celle qui est restée en France, le dernier hommage à sa fille Léopoldine
A celle qui est restée en France Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange, Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi. Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi, Ce livre qui contient le spectre de ma vie, Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie, L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil, Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ? D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ? Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ; Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ; Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais. Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre Se mit à palpiter, à respirer, à vivre, Une église des champs, que le lierre verdit, Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit : Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte. - Je le réclame, a dit la forêt inquiète ; Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi. La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile ! - C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile. - Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents. Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles ? Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! - Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds ! Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons, Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ; Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ; Ni l'église où le temps fait tourner son compas ; Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas, L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe, Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe. II Autrefois, quand septembre en larmes revenait, Je partais, je quittais tout ce qui me connaît, Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne ! J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne, Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler, Sachant bien que j'irais où je devais aller ; Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre ! Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre, Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais, J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais. Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines ! Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines, Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir Avec l'avidité morne du désespoir ; Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ; Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise, L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ; Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient ! Les ronces écartaient leurs branches desséchées ; Je marchais à travers les humbles croix penchées, Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ; Et je m'agenouillais au milieu des rameaux Sur la pierre qu'on voit blanche dans la
Le contexte du poème d’Amour triste de Victor Hugo
Le poème “A celle qui est restée en France” fait partie du recueil “Les Contemplations”, publié en 1856. Ce recueil est divisé en deux parties : “Autrefois” et “Aujourd’hui”.
👉 La première partie regroupe des poèmes écrits avant 1843, qui évoquent l’enfance, la jeunesse, l’amour, la joie de vivre de Victor Hugo.
La deuxième partie regroupe des poèmes écrits après 1843, qui expriment le deuil, la souffrance, la solitude, la révolte de Victor Hugo.
Le poème “A celle qui est restée en France” est le dernier poème du recueil, et il fait le lien entre les deux parties. Il est dédié à Léopoldine, la fille de Victor Hugo, qui est morte noyée avec son mari, Charles Vacquerie, dans la Seine, le 4 septembre 1843.
👉 Victor Hugo a appris la nouvelle par un journal, alors qu’il était en voyage en Bretagne. Il a été bouleversé par cette tragédie, qui a marqué un tournant dans sa vie et dans son œuvre.
Le sens du poème
Le poème “A celle qui est restée en France” est composé de deux parties, qui correspondent à deux moments différents de la vie de Victor Hugo.
👉 La première partie est écrite au présent, et s’adresse à Léopoldine, comme si elle était encore vivante. Victor Hugo lui offre son livre, “Les Contemplations”, qui contient son âme, ses espoirs, ses rêves, ses peurs, ses souvenirs. Il lui dit qu’il a écrit ce livre sous l’inspiration de Dieu, et qu’il a refusé de le donner à la nature, à la mer, à l’étoile, au vent, aux oiseaux. Il lui dit qu’il le donne à la tombe, c’est-à-dire à elle, qui repose dans le cimetière de Villequier, en Normandie.
👉 La deuxième partie est écrite au passé, et raconte le pèlerinage annuel que Victor Hugo faisait sur la tombe de sa fille, chaque mois de septembre.Il décrit son départ de Paris, son voyage solitaire, son arrivée au cimetière, son recueillement sur la pierre blanche. Il évoque sa douleur, son désespoir, son incompréhension, face à la mort de sa fille. Il lui parle, il l’appelle, il la pleure, mais il n’obtient pas de réponse.
La beauté du poème

Crédit image : Par Auguste de Châtillon
Le poème “A celle qui est restée en France” est un poème beau et émouvant,qui témoigne de l’amour inconditionnel et éternel de Victor Hugo pour sa fille Léopoldine. Il utilise des images fortes et contrastées, qui opposent la vie et la mort, la lumière et l’ombre, le ciel et la terre, le livre et la tombe. Il emploie des mots simples et touchants, qui expriment sa tendresse, sa fidélité, sa révolte, sa soumission.
Il crée une musicalité harmonieuse et mélancolique, qui repose sur des rimes riches et variées, des rythmes réguliers et souples, des sonorités douces et tristes. Il construit une forme symétrique et équilibrée, qui repose sur une alternance de vers pairs et impairs, de strophes longues et courtes, de dialogues et de monologues.
A lire aussi : Histoire d’amour secrète : Victor Hugo et Juliette Drouet